Professeurs Marie-Paule LEFRANC, Mylène WEILL, The Duc HUA, Christelle SOURIAU et Gérard LEFRANC
La méthodologie du phage display, c'est à dire la présentation de peptides à la surface de phages filamenteux, est devenue un très puissant outil de synthèse combinatoire et de sélection des peptides.
La présentation de peptides à la surface de phages filamenteux a été démontrée pour la première fois par Georges Smith en 1985 [1], mais il a fallu attendre quelques années pour comprendre l'importance de ce puissant outil de sélection [2,3]. Les phages filamenteux sont utilisés pour présenter à leur surface, en fusion avec le domaine amino-terminal de leurs protéines pIII ou pVIII, des molécules telles que des peptides aléatoires [3], des fragments d'anticorps (Fab, Fv, ou scFv single chain Fv) [4] ou d'autres protéines (figure 1A). Les phages recombinants sont ensuite sélectionnés pour leur capacité de liaison à une cible (figure 2). Les banques de peptides exposés sur phage peuvent être sélectionnées sur différentes cibles: anticorps monoclonaux pour caractériser rapidement de nouveaux épitopes, récepteurs pour identifier de nouveaux ligands, ou enzymes pour caractériser de nouveaux substrats. Les banques combinatoires de fragments d'anticorps sont sélectionnés sur des antigènes purifiés pour isoler des fragments d'anticorps avec de nouvelles spécificités. Après de nombreux lavages, les phages fixés sont élués puis isolés et amplifiés par infection de bactéries. Les phages amplifiés sont sélectionnés à nouveau sur la même cible. Après 3 ou 4 tours de sélection-amplification, les phages sélectionnés sont analysés et testés pour l'activité recherchée. Des pressions de sélection différentes peuvent être introduites à chaque tour ainsi qu'une diversité additionnelle par mutagenèse. Cette stratégie fondée sur la sélection est nettement plus puissante qu'une stratégie de criblage classique qui nécessite de nombreuses manipulations. Il est en effet possible de cribler 106 à 1010 molécules recombinantes différentes dans un volume réduit de quelques microlitres. De plus, l'association de la protéine exposée en surface (phénotype) avec son ADN codé par le phage (génotype) permet d'accéder rapidement aux séquences des molécules sélectionnées car l'ADN est directement isolé avec la protéine pour laquelle il code. Cette méthode est très efficace puisqu'il est possible de sélectionner un phage dont la fréquence était de 1/108 dans la banque originale. Le nombre croissant de publications apparues ces dernières années indique que la technologie du phage display représente un outil performant pour de très nombreuses applications.
Les banques de peptides sont engendrées par clonage d'oligonucléotides aléatoires en 5' des gènes les protéines pIII ou pVIII d'un phage filamenteux. La longueur des peptides fusionnés avec pIII ne semble pas perturber la morphologie du phage. En revanche, la longueur des peptides fusionnés avec les protines pVIII doit être limitée à environ 8 acides aminés afin d'éviter les phénomènes d'encombrement stérique dû au nombre important de protéines pVIII en surface. Pour exposer des peptides plus longs ou pour diminuer la valence des molécules présentées, il est nécessaire d'utiliser des vecteurs phagemides qui permettent une dilution des protéines fusionnées par des protéines sauvages issues du phage auxiliaire (figure 1B). Pratiquement, le facteur qui limite la longueur des peptides à cribler est la taille de la banque qu'il est nécessaire de construire pour que tous les peptides aléatoires possibles soient représentés. L'efficacité de clonage est telle qu'au-delà de 6 à 7 acides aminés les banques obtenues sont partielles puisqu'elles nécessitent plus de 1011 transformants [5]. Cela n'est pas forcément gênant puisque de telles banques ont pu être criblées avec succès.
Les banques sont régulièrement régénérées, contrairement aux banques chimiques qui, elles, s'épuisent. Cependant, le caractère "vivant" de ces banques biologiques peut présenter certains désavantages. De nombreux clones, ceux qui sont toxiques pour l'hôte, ceux qui sont sensibles aux protéases endogènes, ceux qui sont faiblement traduits ou sécrétés ou ceux qui diminuent le pouvoir infectieux des phages, peuvent être absents d'une banque théoriquement complète. De plus, une à deux amplifications successives appauvrissent considérablement la diversité d'une banque car certains clones présentent des avantages de pousse et envahissent rapidement la population. La régénération d'une banque nécessite donc un reclonage des insertions et non pas une simple amplification. La sélection de phages recombinants issus de banques différentes, sur une même cible, identifie parfois des peptides différents révélant l'importance du contexte de présentation des peptides. Les séquences flanquantes sont importantes, et un peptide peut perdre totalement ses capacités de liaison s'il est synthétisé chimiquement sous la forme soluble. Ces observations ont orienté les chercheurs vers la construction de banques "contraintes".
Les banques dites contraintes présentent les peptides aléatoires dans une conformation qui accepte peu de degrés de liberté. Les peptides peuvent être cycliques (leur séquence est flanquée de deux cystéines formant un pont disulfure), ou abrités dans des structures fixes d'autres protéines, telle qu'une boucle hypervariable d'un domaine VH d'immunoglobuline. Une étude systématique du mode de présentation semble indiquer que les peptides contraints présentent souvent des affinités et des spécificités de liaison supérieures aux peptides linéaires et sont plus informatifs sur les sites de liaison. De plus, les versions solubles conservent en général leur capacité de liaison.
Les banques de peptides permettent la sélection rapide de peptides capables de se fixer sur une cible immobilisée. En général, la sélection révèle plusieurs peptides différents qui définissent un ou plusieurs consensus. Les consensus sont ensuite testés sous forme soluble pour l'activité recherchée. Lorsqu'aucun consensus ne peut être obtenu, il est souvent difficile et onéreux de tester chaque peptide séparément. Un nouveau protocole de sélection ou une nouvelle banque sont alors utilisés.
C'est certainement l'application la plus fréquente de la sélection de peptides sur phage. La localisation du consensus sélectionné dans la séquence de l'antigène (celle-ci est généralement connue) permet l'identification de l'épitope de l'antigène reconnu par l'anticorps. L'identité entre le consensus et l'épitope n'est souvent que partielle mais des expériences de compétition permettent de valider l'interaction. De nombreux épitopes linéaires ont pu être ainsi cartographiés [6]. Lorsque l'épitope recherché est conformationnel ou discontinu, les séquences consensus identifiées ne présentent pas d'analogie avec le ligand naturel de l'anticorps. Les peptides sélectionnés correspondent dans ce cas à des mimotopes. Il est généralement possible de mettre en évidence des épitopes modifiés de manière post-traductionnelle. Westendorf et al. (Scripps Research Institute, La Jolla, CA, USA) ont phosphorylé une banque de peptides de 15 acides aminés et l'ont ensuite sélectionnée sur l'anticorps MPM2 dirigé contre des phosphoprotéines de la phase M des cellules eucaryotes. Après trois tours de sélection, ils ont mis en évidence une séquence consensus fixant l'anticorps uniquement sous sa forme phosphorylée [7].
La sélection de peptides sur protéine purifiée permet, comme dans le cas d'une sélection sur anticorps, d'identifier le site de liaison d'un ligand naturel dont la séquence est déjà connue. En général, l'interrogation de bases de données à partir du consensus obtenu ne permet pas d'identifier un partenaire nouveau. Pour ce type de projets, le système double hydride ou les banques de produits d'ADN complémentaires (ADNc) exposés sur phages (voir plus loin) semblent plus adaptés. Cependant les banques de peptides sur phages représentent un moyen rapide d'identifier les sites d'interaction entre deux protéines connues. La sélection de peptides sur le produit du proto-oncogène HDM2 a permis de confirmer son interaction avec la protéine p53 et d'identifier un peptide potentiellement thérapeutique capable d'inhiber l'interaction de ces deux protéines (pour revue, réf. 8).
Plusieurs laboratoires ont isolé des peptides sur des protéines dont le ligand naturel n'est pas peptidique. La sélection sur streptavidine identifie le peptide HPQ (His-Pro-Gln) qui entre en compétition avec la biotine [9]. La sélection sur concanavaline A, une lectine qui fixe l'alpha-D-mannopyranoside, identifie le peptide YPY (Tyr-Pro-Tyr) qui entre en compétition avec le sucre et présente une affinité comparable pour la cible [10]. Ces deux exemples montrent que des peptides peuvent mimer un ligand naturel non peptidique sans pour autant former les mêmes contacts avec la cible.
La compréhension du mode de reconnaissance protéine-ADN est compliquée car il n'existe pas de correspondance simple établie entre acides aminés et nucléotides. Les protéines à doigts de zinc représentent un modèle idéal pour étudier le mode de reconnaissance de l'ADN car chaque doigt de zinc reconnaît précisément 3 paires de bases consécutives. Choo et Klug (Cambridge, GB) ont mis au point une méthode d'analyse systématique d'une banque de doigts de zinc exprimée sur phage pour établir une base de données doigts de zinc /ADN [11]. Ils ont utilisé ce "code syllabique" pour trouver les doigt de zinc se fixant sur une séquence de 9 pb représentant la jonction des proto-oncogènes BCR et ABL dans l'ADNc p190 BCR-ABL. Les doigts de zinc qui se fixe sur chacun des trois codons ont été associés dans l'ordre approprié puis testés sur la séquence cible. La spécificité obtenue in vitro est remarquable et la protéine en doigt de zinc synthétique, produite dans des cellules eucaryotes, bloque la transcription de l'ADN possédant la séquence cible.
La sélection sur récepteur purifié représente un immense intérêt pharmacologique. Le but est de trouver de nouveaux agonistes ou antagonistes sans se préoccuper du côté "naturel" de ces molécules. De nombreuses sélections ont été réalisées avec succès. La sélection sur le récepteur de l'érythropoïétine (REPO) a identifié plusieurs peptides cycliques dont les séquences diffèrent de celle de l'érythropoïétine et qui se fixent plus faiblement sur le récepteur. Les études fonctionnelles montrent qu'ils induisent la dimérisation du REPO, la transmission du signal associé ainsi que la croissance et la différenciation de cellules murines (pour revue, réf. 8). Ce travail important montre qu'il est possible de sélectionner de petits peptides biologiquement actifs, capables de mimer des hormones, et représentant une nouvelle classe de molécules thérapeutiques. Les sélections sur intégrines, protéines impliquées dans l'adhérence cellulaire, identifient les consensus RGD (Arg-Gly-Asp) et KGD (Lys-Gly-Asp) (pour revue, réf. 6). Ces deux peptides sont présents dans les venins de serpents connus pour inhiber l'agrégation plaquettaire. Ils inhibent la liaison de nombreuses cellules à la fibronectine.
La sélection sur cellules est très importante puisque de nombreuses cibles sont des récepteurs transmembranaires difficiles à purifier ou à reconstituer sans membrane, ou encore des récepteurs inconnus. Le problème majeur rencontré est évidemment le bruit de fond car de nombreux phages se fixent de manière non spécifique sur la surface cellulaire. Plusieurs essais sont réalisés dans différents laboratoires et pour l'instant peu de résultats sont publiés. Il semble important de choisir des récepteurs fortement exprimés et d'éluer les phages fixés par compétition avec un agoniste. Il est possible de pratiquer des sélections dites négatives sur des cellules qui ne possèdent pas le récepteur cible pour épuiser la banque de tous les phages non concernés. Une stratégie prometteuse consiste à surexprimer le récepteur cible dans deux types cellulaires différents. La sélection de peptides en alternance sur les deux types cellulaires permet de se débarrasser progressivement du bruit de fond. La sélection sur plaquettes entières a permis d'isoler plusieurs peptides dont le peptide RGD, déjà isolé sur intégrines purifiées et connu pour inhiber l'agrégation plaquettaire (pour revue, réf. 8).
Un travail novateur démontre la possibilité de sélection in vivo. Après injection intraveineuse d'une banque de peptides cycliques à une souris, les différents organes de l'animal ont été broyés et les phages correspondants amplifiés [12]. Plusieurs tours de sélection ont permis d'identifier des peptides qui présentent une forte spécificité pour le cerveau et les vaisseaux du rein. Certains organes, tels que le foie ou les poumons, capturent trop de phages et rendent la sélection impossible. Des globules rouges recouverts de ces peptides spécifiques ont ensuite été injectés par voie intraveineuse puis localisés dans les organes cibles. Ces expériences ouvrent un champ important d'applications pour le ciblage spécifique de médicaments dans certaines cellules (en particulier les cellules tumorales) ou dans certains tissus.
L'équipe de Jim Wells (Genentech, CA, USA) a développé une approche astucieuse pour sélectionner des substrats de protéases [13]. Ils ont exprimé sur phage, de façon monovalente, des protéines de fusion tripartites qui possèdent un domaine amino-terminal capable de se fixer sur un support solide, suivi d'une séquence peptidique aléatoire (substrat potentiel de protéases), puis du domaine carboxy-terminal de pIII. Après fixation sur le support solide, les phages qui expriment les substrats potentiels sont traités par la protéase étudiée (la subtilisine ou le facteur Xa). Les phages qui exposent un peptide substrat sont alors libérés et amplifiés, alors que les phages qui exposent un peptide résistant à la protéolyse restent fixés (figure 3). Cette technique a également été appliquée à d'autres enzymes [13].
Par définition, les peptides isolés pour leur liaison à un anticorps peuvent présenter certaines propriétés d'anti-idiotypes telles que le pouvoir immunogène (pour revue, réf. 6). Il est parfois possible d'identifier des mimotopes qui ressemblent à l'antigène original, mais qui sont suffisamment dégénérés pour présenter différents spectres de réactions croisées. Par exemple, un mimotope sélectionné sur un anticorps spécifique d'un sous-type du virus de l'hépatite B (HBV) a permis d'induire une réponse humorale anti-HBV non restreinte et donc plus protectrice. Il s'agit cependant de cas heureux car il arrive également que les anticorps dirigés contre des peptides mimotopes ne soient pas capables de reconnaître l'antigène original et, dans ce cas, les mimotopes injectés ne présentent aucun pouvoir protecteur. Le phage lui-même représente un excellent vecteur pour l'immunisation. Greenwood et al. (Cambridge, GB) ont exposé le peptide correspondant à l'antigène de surface majeur de Plasmodium falciparum à la surface de pVIII. Les phages porteurs de peptides injectés se sont avérés fortement immunogènes [14]. Il est possible d'imaginer la construction de phages "super-immunogènes" présentant simultanément des épitopes B et T ainsi qu'une cytokine immunostimulante.
Une application essentielle du phage filamenteux a été la construction de banques combinatoires de fragments d'anticorps (pour revue, réf. 4, 15). Les domaines variables d'un anticorps peuvent être exprimés sur phage, soit sous forme de fragments scFv dans lesquels les domaines VH et VL sont liés de manière covalente par un court peptide, soit sous forme de fragments Fab. Cette technique a permis d'obtenir de nombreux anticorps monoclonaux et s'est avérée particulièrement intéressante dans le cas d'anticorps humains pour lesquels les hybridomes sont techniquement et éthiquement difficiles à obtenir.
Le répertoire immunitaire naïf d'un animal (répertoire avant la rencontre avec les antigènes) contient des anticorps capables de se fixer sur la plupart des molécules avec des affinités modérées (Ka ~ 106-107 M-1). Ce répertoire dérive du réarrangement combinatoire des différents gènes V dans les cellules souches (figure 4). Chaque cellule B (~ 108 chez la souris et 1012 chez l'homme) exprime une seule combinaison de domaines variables VH et VL, qui résulte d'un réarrangement IGHV-D-J pour la chaîne lourde, et IGKV-J ou IGLV-J pour la chaîne légère. L'immunisation induit la prolifération des cellules B qui reconnaissent l'immunogène, leur différenciation en plasmocytes et la sécrétion de l'anticorps correspondant. Une maturation de l'affinité des anticorps est effectuée par un processus de sélection d'hypermutations somatiques. C'est à ce stade que les cellules B sont généralement récoltées pour préparer les hybridomes.
Les gènes réarrangés IGHV-D-J, IGKV-J (ou IGLV-J) des anticorps peuvent être amplifiés séparément par PCR (polymerase chain reaction), associés au hasard, puis clonés dans des phages permettant d'obtenir ainsi des banques combinatoires (figure 4). Dans le cas de banques construites à partir d'une source "immunisée", des fragments d'anticorps de forte affinité pour l'immunogène peuvent être sélectionnés directement. Dans le cas de banques construites à partir du répertoire naïf, des anticorps d'affinité modérée peuvent être sélectionnés contre une grande variété d'antigènes sans recourir à l'immunisation [16]. Les banques combinatoires naïves dites naturelles sont construites à partir des gènes réarrangés IGHV-D-J et IGKV-J (ou IGLV-J) de l'animal ou de l'homme. Les banques combinatoires naïves dites synthétiques, sont construites à partir des différents gènes (V, D, J) non réarrangés. Leur réarrangement est réalisé in vitro par PCR. L'utilisation d'oligonucléotides aléatoires correspondant aux régions CDR (complementarity determining regions) [17] permet d'augmenter la diversité de la banque. Il a été montré que plus la banque combinatoire naïve est complexe, plus il est possible d'isoler des anticorps contre n'importe quel antigène et plus leur affinité est élevée. L'infection combinatoire a permis d'obtenir des banques naïves de plus de 1010 fragments Fab différents présentant de bonnes affinités (Ka ~ 108-109 M-1) pour une très grande variété d'antigènes [18]. Bien des aspects du système immunitaire naturel sont donc ainsi copiés. Souvent, des processus de maturation in vitro doivent être appliqués pour obtenir les "meilleurs" anticorps en terme de spécificité et d'affinité. Les permutations de chaînes qui ont lieu durant le développement des cellules B peuvent être mimées in vitro par le technique de l'échange de chaînes "chain shuffling" dans laquelle les gènes d'une chaîne (VH ou VL) sont gardés puis réassociés à tous les gènes de l'autre chaîne de la banque (pour revue, réf. 4). La maturation de l'affinité est également assurée par introduction de mutations dans les CDR des fragments sélectionnés.
Le système artificiel des banques combinatoires s'est donc avéré particulièrement intéressant pour toute production d'anticorps pour laquelle l'immunisation est difficile voire impossible. C'est le cas de certains anticorps humains ou encore d'anticorps dirigés contre des molécules très conservées non immunogènes. Il est également utile pour l'étude du répertoire immunitaire de patients infectés par certains virus pathogènes ou de patients atteints de maladies auto-immunes [19].
La présentation de produits d'ADNc à la surface du phage filamenteux est très séduisante car elle permet de sélectionner les ligands naturels de n'importe quelle cible. Jacobsson et Frykberg (Uppsala, Suède) ont exprimé une banque complète d'ADNc de Staphylococcus aureus à la surface de pVIII [20]. Leur sélection s'est avérée particulièrement efficace puisque la majorité des clones sélectionnés présentaient des séquences de protéines connues pour se lier aux différentes cibles testées. Cependant, les ADNc eucaryotes ne peuvent être exprimés directement en fusion avec pIII ou pVIII à cause des sites de terminaison de transcription présents dans leur région 3' non codante. Crameri et Suter (Davos, Suisse) ont développé une stratégie astucieuse, fondée sur l'association des protéines JUN et FOS, pour lier de manière covalente le produit de l'ADNc à la surface du phage. Les gènes JUN et FOS sont exprimés à partir de deux promoteurs lacZ distincts du phagemide pCom3. Dans le phage pJuFo, JUN est exprimé en fusion avec pIII tandis que FOS est synthétisé en fusion amino-terminale avec les produits des ADNc de la banque. Pour éviter la perte de la paire phage/ADNc, l'association JUN-FOS a été rendue covalente grâce à des ponts disulfure (figure 5). Les auteurs ont présenté sur phage une banque complète de produits d'ADNc d'Aspergillus fumigatus qu'ils ont sélectionnés avec succès sur sérum IgE humain [21].
Le phage filamenteux représente une excellente cassette de mutagenèse. Une protéine exprimée en surface du phage est mutée de manière aléatoire puis sélectionnée pour l'activité recherchée, le plus souvent la liaison à une cible. De nombreuses protéines exprimées à la surface de phages ont conservé leur activité et ont pu être ainsi "améliorées" (tableau 1). La taille des protéines ne semble pas être un paramètre limitant ; en revanche, la protéine doit supporter la sécrétion de pIII ou pVIII à travers l'environnement périplasmique oxydant de la bactérie lors de l'assemblage du phage. C'est pourquoi le système semble plus efficace pour des protéines normalement extracellulaires ou sécrétées. Cette application est fréquemment utilisée pour augmenter l'affinité d'un fragment d'anticorps pour l'antigène. Dans ce cas plusieurs stratégies de mutagenèse ont été envisagées. L'anticorps peut être muté de manière totalement aléatoire, soit en augmentant fortement le taux d'erreurs de la Taq polymérase, soit à l'aide d'une souche bactérienne mutatrice [22]. Une autre stratégie consiste à utiliser les techniques d'analyse structurale classiques pour identifier les résidus importants. Ensuite, deux à trois positions seulement sont mutées simultanément, ce qui réduit la complexité de la banque de mutants nécessaires, puis les positions optimales sélectionnées sont combinées pour obtenir le "meilleur mutant". Nous avons choisi cette approche "semi-rationnelle" d'analyse par résonance magnétique nucléaire et modélisation moléculaire suivie de mutagenèse aléatoire pour augmenter l'affinité d'un anticorps anti-phényloxazolone [23].
Il est toujours possible d'éluer des phages après chaque tour de sélection, de les amplifier, et de recommencer. Il est, hélas, très fréquent d'être déçu : le ligand sous forme soluble ne se fixe plus sur la cible ; il se fixe in vitro sur la cible purifiée, mais pas in vivo; il se fixe in vivo mais ne présente aucune activité, ce qui est gênant lors de la recherche d'agonistes ou d'antagonistes de récepteurs, lors de la recherche d'enzymes modifiées actives ou encore lors de la recherche d'anticorps bloquants ou d'anticorps catalytiques !
Des modes de sélections sophistiqués et plus adaptés à chaque problématique ont donc fait leur apparition. Le système SAP [24] ou SIP [25] permet de coupler la reconnaissance anticorps-antigène à l'infectiosité du phage. Les fragments d'anticorps exprimés à la surface de protéines pIII défectueuses sont sélectionnés sur une cible couplée à une pIII sauvage ou complémentaire. Seuls les phages porteurs d'anticorps liés à la cible-pIII sont infectieux et amplifiés dans E coli. Soumillion et al. ont mis au point une méthode astucieuse pour sélectionner des enzymes selon leur activité catalytique [26]. La bêta-lactamase exprimée sur phage est incubée avec un substrat inhibiteur suicide lié à la biotine. Lorsque l'enzyme est active, après réaction avec le substrat, les phages sont marqués à la biotine et se fixent sur des billes de streptavidine. L'enrichissement en phages porteurs d'enzyme active après un seul tour de sélection est très convaincant.
La recherche d'agonistes ou d'antagonistes de ligands naturels peut également être très décevante. En effet, de nombreux ligands sélectionnés sur récepteur ne présentent ensuite aucune activité en terme de transmission du signal. Dans le laboratoire, nous avons développé un système de criblage fonctionnel permettant de détecter rapidement des agonistes ou antagonistes de l'EGF humain [27]. Une lignée stable a été établie qui exprime la luciférase sous le contrôle de l'enhancer SIE du gène FOS impliqué dans la voie de transmission du signal EGF. Lorsque cette lignée est stimulée par de l'EGF soluble ou du phage-EGF, une forte activité luciférase est mesurée. L'étude de plusieurs mutants de l'EGF exprimés à la surface du phage permet de détecter les positions cruciales de la molécule. La caractérisation de différents ligands, à la fois pour leur liaison au récepteur et pour leur activité de transmission, identifie rapidement les agonistes et antagonistes potentiels de l'EGF.
La technologie du phage display se développe dans de très nombreux laboratoires. Les limitations du système, taille des répertoires, maturation in vitro, sélections adaptées, sont résolues progressivement. Les protocoles de sélection classiques sont aujourd'hui très simples et seules les connaissances de bactériologie classiques sont requises. Selon l'activité recherchée, le choix du mode de sélection peut s'avérer crucial. La sélection peut s'opérer sur cible fixée sur support solide (plaque ELISA, boîte de Pétri, immunotube, agarose) ou sur cible en solution, en général marquée à la biotine. Les conditions expérimentales : le milieu de saturation des sites non spécifiques, la présence de détergent lors des lavages, l'élution (pH acide, alcalin, infection directe sans élution, élution spécifique par compétition avec un ligand) sont à déterminer pour chaque problématique. La sélection sur cellules représente un enjeu très important mais les problèmes de bruit de fond restent difficiles à résoudre. Peu de résultats sont publiés par rapport aux efforts engagés.
La construction de banques est un investissement important. Dans les cas où des répertoires particuliers ne sont pas requis, il semble plus judicieux d'obtenir des banques "prêtes à l'emploi" déjà construites qui sont distribuées par les laboratoires de recherche. La sélection de plusieurs banques différentes sur une même cible d'intérêt permet d'éviter de nombreuses déceptions. Les banques de longs peptides (30 à 40 acides aminés) qui sont théoriquement partielles, semblent cependant très efficaces puisqu'elles ont permis la sélection de clones spécifiques et affins alors qu'aucun peptide court n'avait pu être identifié (D. Capra, communication personnelle). Il semble que la structure des peptides soit en fait très importante. La présentation de molécules structurées (hélices alpha, feuillet bêta) représente aujourd'hui un axe de recherche important.
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